J’ai été sollicité par la revue « finance&gestion » pour écrire un article dans leur dossier du mois de février : « le leadership, au-delà de l’expertise ».

 

Le Directeur Administratif et Financier aura-t-il un rôle à jouer dans le Management du Futur ?

Prévoir, anticiper, tout planifier, faire toujours plus avec moins, cela fonctionnait à peu près dans l’économie issue de la deuxième Révolution Industrielle et le DAF y a joué un rôle prépondérant. Cette économie subit des mutations profondes et de nouveaux types d’organisations émergent… Le DAF y aura-t-il un rôle à jouer ?

 

Quel est le futur du management ?

Une certitude est probablement que nos modes de management, de gouvernance et de pilotage de nos organisations vont devoir se transformer !

Les modes et méthodes de fonctionnement issus du taylorisme et de l’optimisation par la recherche de l’excellence opérationnelle ont fait leur preuve dans des environnements faiblement incertains… Aujourd’hui, force est de constater que l’avenir est fortement incertain et que les outils d’hier : ERP, budgets, procédures… sclérosent les organisations, les rendant immobiles au moment où il faudrait qu’elles deviennent agiles, ouvertes voir apprenantes ! La plupart des sociétés se lancent alors dans une frénésie de « encore plus » de contrôle, de centralisation, de prévisions… Elles tentent de résister, de lutter contre les évolutions de leur marché et ne récoltent que plus de démotivation et de désengagement de leurs collaborateurs !

Certaines entreprises se lancent vers des modèles collaboratifs et participatifs mais ne changeant rien structurellement. La conséquence est immédiate : les réunions s’enchaînent, durent de plus en plus longtemps et aboutissent sur des consensus, le plus souvent « mous ». Dans le meilleur des cas, le management confisque à nouveau le pouvoir qu’il a délégué pour que la société ne sombre pas.

La situation devient anxiogène pour l’ensemble des salariés, à commencer par l’encadrement qui ne sait plus s’il doit faire preuve de plus management collaboratif ou de plus de contrôle !

Je fais partie de ceux qui considèrent que notre Société et nos entreprises sont en surchauffe et sont proches du burn-out…

Se transformer avant la surchauffe fatale… oui, mais pour aller où ?

Se transformer ne veut pas dire opérer encore un Xième changement !

Là où le changement est basé sur l’imposition d’un mode de fonctionnement (quand il ne s’agit pas seulement d’un nouvel organigramme), la transformation est culturelle, « organique » et beaucoup plus profonde.

Le changement est imposé par une minorité détenant leur pouvoir du contrôle de l’information dans l’entreprise (« top down »). Aujourd’hui, la connaissance se partage et nous sommes dans une ère de collaboration de masse avec l’avènement du digital. Clients ou salariés, nous sommes tous des « citoyens consommateurs ». Nous communiquons rapidement avec beaucoup d’autres citoyens consommateurs à l’intérieur comme à l’extérieur des entreprises.

Les programmes de « change management » sont révolus : définir à quelques-uns une stratégie, l’accompagner pour faire passer « la pilule » et le traumatisme qui va avec, puis stabiliser avant de recommencer le cycle suivant. Les organisations sont donc contraintes de changer leur « logiciel » de fonctionnement, c’est-à-dire de se transformer en profondeur. J’utiliserai même le terme de disruption managériale.

En matière de disruption, il est intéressant d’observer les usages et en l’occurrence les nouvelles pratiques managériales qui sont adoptées actuellement.

transformation digitale

Les entreprises « digitales » : la culture avant tout.

Les startups qui connaissent la réussite cherchent des modes de fonctionnement agiles lorsqu’elles grandissent et si elles doivent se structurer, elles ne veulent surtout pas ressembler à leurs ainées. En la matière Netflix, dans la Silicon Valley californienne, sert de modèle à beaucoup de ces entreprises.

Même si Netflix n’est pas née dans le digital (son métier d’origine étant la location de film par correspondance) la société fait figure de modèle dans la Silicon Valley. Après s’être faite « disrupter » par la VOD (Video On Demand) et les chaînes cinéma comme HBO, avoir dû faire plusieurs plans de licenciement, Netflix a su se réinventer en se transformant structurellement pour devenir le succès commercial que l’on connait.

Netflix a ainsi développé tout son système en créant sa « culture Netflix » (« Freedom & Responsability », 124 pages de présentation en libre accès sur internet) avec un principe fondateur : la culture est supérieure à la stratégie… Ainsi, plus besoin de contrôle : « on n’embauche que des adultes responsables », sous-entendu : les enfants qui ont encore besoin de leurs parents n’ont pas leur place chez nous ! Grâce à cette culture organisationnelle et managériale Netflix a su se réinventer complétement en pratiquant notamment les méthodologies du Lean Startup. Le droit à l’erreur est central et le mode de fonctionnement est avant tout pragmatique et empirique : on teste, on valide ou infirme et on pivote si nécessaire. On apprend en avançant… Les groupes de travail s’auto constituent et se défont au gré des projets… La créativité et l’innovation sont alors au cœur de l’entreprise et tout le monde y participe.

Google et la plupart des entreprises de la Silicon Valley ont adopté, la culture Netflix et les principes du Lean startup.

Pour eux cela répond à une problématique clairement affichée : nous devons recruter les meilleurs éléments et leur donner envie de rester chez nous pour qu’ils n’aillent pas chez les concurrents. Cela reste donc un système vécu comme élitiste (il faut être et rester le meilleur dans son domaine) et pas forcément adaptable aux entreprises non digitales… Même si toutes les entreprises rêvent de recruter et de conserver les meilleurs talents, elles n’en ont pas forcément les moyens.

 

Les entreprises de l’ancienne économie : le management par la confiance… vers l’Entreprise Libérée

Par ailleurs, il est intéressant de constater le mouvement qu’opèrent de plus en plus d’entreprises issues de « l’ancienne économie ». En effet, leur stratégie va davantage consister à révéler les talents dans l’entreprise qu’à sélectionner les meilleurs. Tout le management est alors tourné vers cet objectif : les managers n’ont plus des collaborateurs à leur service mais sont au service du développement de l’autonomie de ces derniers. Et tout comme dans les entreprises digitales, le fonctionnement de l’entreprise devient basé sur la confiance : le contrôle est remplacé par l’auto-contrôle.

Contrairement aux entreprises digitales, les principes humanistes sont au cœur de ces entreprises et le premier d’entre eux est la croyance que l’homme est bon (cf. la fonderie Favi, première entreprise identifiée comme « libérée » en France) et qu’il a besoin de trouver sa propre motivation. Ces entreprises, Isaac Getz les a nommées les « Entreprises Libérées » dans son ouvrage co-écrit avec Brian M.Carney : Liberté & Cie – Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises.

Voici la définition qu’en donne Isaac Getz : « Il s’agit d’une entreprise dont la majorité de salariés sont complètement libres et responsables d’entreprendre toute action qu’eux-mêmes – pas leurs chefs ou les procédures – décident comme les meilleures pour la vision de leur entreprise. »

« Il ne s’agit donc ni d’un modèle, ni d’une méthode, mais de l’articulation par le leader libérateur de la philosophie de l’entreprise libérée au contexte culturel hérité dans l’entreprise ».

Cette transformation ne peut alors être initiée que par la volonté du dirigeant et c’est probablement l’étape la plus difficile. En effet, pour cela il va devoir renoncer à son pouvoir de contrôle et accepter de faire confiance aux autres (à commencer par se faire confiance à lui-même sur le fait qu’il va y arriver !). L’intention de départ du dirigeant et sa sincérité dans la réalité de sa démarche est la condition première pour se lancer sur ce chemin semé d’embuches… Tout dirigeant qui se lancera sans en être intimement convaincu et profondément motivé a probablement plus à y perdre qu’à y gagner !!!

Après ce travail préalable de « leader libérateur », c’est toute l’organisation qui doit se transformer…

Lâcher prise, sortir de sa zone de confort, faire confiance, laisser venir, ne plus imposer, accepter les erreurs… Autant d’éléments qui constituent un challenge pour toute organisation qui a eu l’habitude de fonctionner autrement. C’est un nouvel apprentissage. Il faut désapprendre pour apprendre à fonctionner différemment. L’entreprise, véritable organisme vivant, ne peut pas se permettre de s’arrêter pour opérer sa mutation. Elle doit le faire à son rythme au gré des opportunités et du développement de son autonomie comme du développement de l’autonomie de ses membres.

Toutes les entreprises qui se lancent actuellement dans ces modes d’organisations responsabilisantes trouvent leurs propres voies et sont autant d’exemples d’expériences éclairantes pour les suivantes. Michelin, Auchan, Kiabi, Décathlon, la Poste, Norauto, Ikéa, la MAIF, Poult… sont autant d’exemples d’entreprises qui expérimentent leur chemin de « libération ». D’après le dernier reportage de l’émission Capital d’M6 sur ce phénomène (« Temps de travail, salaires, hiérarchie : faut-il tout casser ? » du 15/11/2015), chaque semaine une PME se lancerait dans la démarche en France.

Auto organisation

Quel rôle peut jouer le DAF dans cette transformation ?

Le Directeur Administratif et Financier en tant que Directeur doit bien entendu montrer l’exemple et devenir un leader au service du développement de ses collaborateurs. C’est-à-dire que son rôle est de s’assurer que ses collaborateurs disposent de tous les éléments qui leurs permettront de prendre les meilleures décisions et non plus de prendre les décisions à leur place… Montrer la direction et les laisser libres du comment y aller et du quoi faire pour y arriver…

En tant que responsable des fonctions administratives et financières, le DAF va pouvoir aider les opérationnels à se libérer des contraintes budgétaires, des procédures de validation et de délégation de signature…

Le DAF va pouvoir également jouer un rôle de formateur pour apprendre à tous à lire un compte de résultat et être en mesure de faire son propre contrôle de gestion, son auto-gestion…

Enfin, le DAF peut être un véritable « facilitateur » de la transformation en aidant à la transparence et à l’accessibilité des informations nécessaires aux prises de décisions, à commencer par les informations financières, de rentabilité… Pour que chacun puisse être en mesure de piloter sa propre activité tout en ayant une vision globale.

Le DAF peut donc choisir de continuer à jouer un rôle prépondérant, comme chaque membre de l’entreprise, s’il sait accompagner et aider les transformations organisationnelles et managériales en se positionnant comme expert et non comme hiérarque.