L’armée a souvent été une source d’inspiration pour nous chez Innocherche car les enjeux en font un laboratoire permanent avec une sentence souvent radicale : si cela ne marche pas les conséquences sont fatales… Et ce qui fonctionne est repris dans le civil à échéance plus ou moins courte.
- Ainsi, en management et organisation :
Le Général Mc Chrystal de l’armée armée américaine m’a nourrit pas son retour sur expérience de la guerre en Irak contre Al Quaida en 2003.
Il explique dans son ouvrage “Team of teams” que la complexité du monde ne nous permet plus de mener nos combats du XXIéme siècle comme au siècle passé !
L’époque du “command & control”, du “predict & control”, des corps d’armée silotés et de la guerre menée comme un jeu d’échec est révolue…
Place aux équipes pluridisciplinaires auto-organisées grâce au partage d’une vision et d’un objectif commun.
- Et encore en Cyber Sécurité :
Quand l’année dernière à la Cyber Week à Tel Aviv, un général de l’armée israélienne est venu nous expliquer que leur principe de fonctionnement était de penser leurs systèmes informatiques comme des organismes vivants avec un système immunitaire.
Ainsi, l’idée d’avoir le système avec zéro défaut est oublié car utopique et l’enjeu consiste à avoir un système capable d’être upgradé et updaté régulièrement avec une capacité de résilience importante face à la moindre attaque…
On passe ainsi de la logique de l’excellence opérationnelle à celle de l’adaptabilité permanente !
- Et bien sûr sur le plan technologique :
Avec des organismes de recherche de l’armée comme la DARPA, le département de R&D de l’armée américaine à l’origine d’internet qui nous fascine par ses innovations : drônes d’attaque, robots sentinelles, exosquelettes, intelligence artificielle, neuroscience,…
Je vais vous parler aujourd’hui d’une chose assez remarquable : comment l’armée américaine se met en mode startup pour préparer la guerre de demain !
Ou comment un homme disrupte le pentagone de l’intérieur…. par les jeux vidéos !!!
L’existence même de cette cellule du Pentagone était classée secret défense il y a peu !
Cette année marquait la première présence officielle d’un représentant du Pentagone au South by South West : le Directeur du bureau des capacités stratégiques du Département de la Défense américain, le Docteur Will Roper.
Ce jeune quarantenaire a une mission : disrupter l’armée américaine pour préparer la guerre de demain : ATTENTION, celle de demain, pas d’après-demain !
Son objectif est clair : pouvoir implémenter en moins de trois ans des innovations sur le terrain…
—MISSION IMPOSSIBLE !!!—
1 / Son constat :
Quand-on lui a assigné cette mission, Will Roper est parti d’un constat sans équivoque :
- Les innovations militaires mettent beaucoup trop longtemps à être utilisées opérationnellement : les projets de la DARPA mettent entre 10 et 15 ans à se retrouver sur le champs des opérations ! Ce sont des projets de recherche souvent loin de la préoccupation des usages…
- L’armée étant organisée en grandes forces armées : l’armée de l’air, l’armée de terre et la marine, elle est de fait en silots et l’adoption des nouvelles technologies en est extrêmement ralentie… et la guerre de demain ne peut plus être pensée en moyens (terrestres, maritimes, aériens) mais en objectifs.
- Les procédures militaires sont trop lourdes, le niveau d’autorisation requis dès que l’on veut tester quelque chose de nouveau est tellement dissuasif qu’il pousse à l’immobilisme ! “Elles décourageraient un régiment”
Pour sa mission, Will Roper décide donc de prendre le sujet à l’envers et de partir des besoins opérationnels plutôt que des innovations technologiques.
C’est-à-dire, partir de la “User Experience” et donc directement des besoins des soldats : qu’est-ce qui leur simplifierait la vie ? que rêveraient-ils d’avoir à leur disposition ? plutôt que de suivre les processus hiérarchiques “Top down”.
Ainsi, pas besoin de demander la moindre permission ou autorisation…
L’ergonomie et le design doivent donc être au coeur de chaque projet pour intégrer la User Experience dés le départ…
Pour l’ergonomie, Will Roper nous explique que sa meilleur source d’inspiration sont les jeux vidéos !
Car si les jeux s’inspirent du réel,
- les éditeurs savent rendre les choses intuitives et simples,
- 1 seule personne peut contrôler une multitude de choses,
- les jeux arrivent à transformer des systèmes complexes en équipes.
Avec beaucoup d’humour il nous explique qu’une part de son métier consiste à rapporter des devoirs à la maison au grand désespoir de sa femme : il teste les jeux vidéos… mais c’est un sacrifice pour sa patrie…
Il a passé un accord avec les éditeurs de jeux vidéo pour pouvoir disposer de leur dernière création 6 mois avant leur commercialisation afin de les décortiquer.
Ainsi il fait beaucoup d’envieux en testant le dernier Call of Duty avant tout le monde : il a le meilleur job du monde comme il s’amuse à le dire !!!
« Les jeux vidéo tentent d’imiter la guerre le mieux possible. Je ne serais pas surpris qu’on commence à faire la guerre comme dans les jeux vidéo, les capacités en termes de stratégie qui sont développées à haut niveau [par les joueurs] peuvent nous être précieuses. »
Pour illustrer ses propos, il nous explique comment Pokémon Go l’a inspiré pour mettre la Réalité Augmentée au service des soldats.
A la sortie de Pokémon Go, il s’est dit : et si les soldats pouvaient marquer en réalité augmentée la position des ennemis et autres informations utiles à la place des petits monstres colorés pour que les autres soldats puissent disposer des informations en temps réel sur le terrain…
Les technologies existent dans le civil, il reste à créer un cas d’usage et à le tester en situation.
Will Roper construit des ponts entre les scientifiques, les innovations technologiques et les services opérationnels de l’armée afin de l’aider à gagner du temps sur l’implémentation des nouvelles technologies en trouvant les nouveaux usages.
Les jeux vidéos c’est bien, mais comment s’y est-il pris ?
Comment a-t-il créé sa start-up ?
2 / Sa vision :
Avant de se lancer, il a bâti sa vision de la guerre de demain en faisant appel à son imagination et en se posant la simple question : comment est-ce que je crois que la guerre sera demain ?
Pour lui, il est donc parti de la croyance que la guerre de demain sera menée par des machines autonomes supervisées par les soldats. Ces machines feront l’ensemble des tâches : de la reconnaissance à l’attaque et ce sans notion de corps d’armée.
Le soldat aura à sa disposition le “Thermomix de la guerre”, constitué d’une troupe de robots, qui une fois programmé pour une mission, agiront en toute autonomie pour la mener à bien comme les cellules d’un même organisme vivant.
Pour Will Roper, les données et leur traitement seront donc au cœur de la guerre de demain.
Et c’est l’autonomisation va changer en profondeur la manière d’aborder les interventions militaires.
3 / Ses modalités de fonctionnement :
Fort de cette vision, Will Roper a fixé ses conditions en terme de gouvernance avant d’accepter sa mission :
- Pouvoir constituer une équipe pluridisciplinaire dédiée pour avoir une vision transverse et disposer de représentant de l’utilisateur final dans ses projets.
- Disposer d’une enveloppe budgétaire pouvant être dépensée sans passer par les procédures de l’armée.
- Pouvoir travailler en collaboration avec des startups et des entreprises ne venant pas du militaire pour utiliser des technologies civiles disponibles immédiatement.
Ces exigences ont été acceptées…
En 2016, Will Roper a ainsi disposé d’un budget de 500M$ pour sa startup !
Sa startup est rattaché directement au secrétaire de la défense et il n’a de compte à rendre à personne.
Pour son fonctionnement opérationnel, il applique les méthodologies de l’innovation continue utilisées par les startups afin de placer la “User Experience” au centre de la réflexion et non la solution technologique.
Il organise ses projets en groupe de travail en mode Team of teams, c’est-à-dire en équipes pluridisciplinaires auto-organisées, partageant une vision et un objectif commun…
Chaque projet part d’un “Rêve Partagé” de l’équipe constituée pour ce projet.
“Qu’est-ce que l’on aimerait qui soit réel ?”
Pas des cahiers des charges mais des envies comme point de départ !
Les principes du Design Thinking et du Lean Startup sont ensuite mis en oeuvre : Empathy Map, Test & Learn, Fail Fast et boucle de feedback pour savoir quand persévérer ou pivoter …
Ces principes appliqués pour dérouler ses projets sont complètements contre intuitifs dans le militaire.
Là où le système classique voudrait verrouiller les spec le plus tôt possible pensant ainsi être plus efficace, Will Roper fait bien attention à rester en mode expérimentation le plus longtemps possible pour… gagner du temps.
4 / Son état d’avancement
Ainsi, 23 projets ont été lancés, la plupart classés secret défense bien sûr !
Certains sur des innovations incrémentales pour aider l’armée à gagner du temps dans leur implémentation et rester à la pointe de la technologie,
D’autres disruptifs comme les bateaux robots, des projets big datas ou encore sur le Réalité Augmenté.
Son premier POC : des drones autonomes qu’il a fait lancé par des avions de chasse pour la démonstration… Ces drones, totalement autonomes, volent en escadrille avec un objectif commun.
Will ROPER va faire de son département une belle licorne du Pentagone !
Son succès va lui permettre d’augmenter son terrain de jeu et de disposer d’un budget quasi doublé avec 900M$ pour 2017…
Sa présence au SXSW, il la justifie en expliquant qu’il est là pour en dire suffisamment pour montrer qu’ils sont à la pointe de l’innovation, attirer les talents en montrant que l’armée peut être très sexy et bien sûr dissuader les ennemis…
Mais il n’en dit pas trop pour garder le secret…
Il va donc pouvoir rapporter encore des devoirs à la maison… n’en déplaise à sa femme !
Très intéressent votre blog merci
Je vous souhaite bonne continuation